Millet et l’allégorie de la mémoire du réel di Gérard da Silva

Millet et l’allégorie de la mémoire du réel di Gérard da Silva

Lors du Salon de 1859, contemplant la «Paysanne gardant sa vache», de Millet, Baudelaire émettait un doute: «Au lieu d’extraire simplement la poésie naturelle de son sujet, M. Millet veut à tout prix y ajouter quelque chose. Dans leur monotone laideur, tous ces petits parias ont une prétention philosophique, mélancolique et raphaélesque. Ce malheur, dans la peinture de M. Millet gâte toutes les belles qualités qui attirent tout d’abord le regard vers lui.» Delacroix, de même, recevant Millet le 16 avril 1853, retenait, en ses œuvres, ainsi qu’il ne note dans son Journal, un «sentiment profond, mais prétentieux»… Le Palais des Beaux-Arts de Lille consacre une exposition, du 13 octobre 2017 au 22 janvier 2018, à ce peintre célèbre, sans être véritablement accepté. Il est indiscutable que l’impressionnisme, comme style et aussi comme mode, a fait passer Millet au second plan. Du coup, pour remettre l’artiste au goût du jour, le musée d’Orsay avait proposé, de septembre 1998 à janvier 1999, une exposition van Gogh – Millet; le premier ayant toujours voué à son ainé une admiration constante, pour son art, et en tant modèle artistique et exemple d’honnêteté et de courage. Mais cette exposition n’avait fait que confirmer la gloire de van Gogh. L’exposition de Lille permet de mieux comprendre les réserves faites sur Millet. Il ne fait guère de doute que nombre d’œuvres des années 1850, et allant jusqu’au célébrissime Angélus, témoignent d’une volonté d’exemplarité, oscillant entre le pittoresque et une façon de détacher les silhouettes du paysage ambiant, comme pour en souligner la pure présence. En ces premières années, une pensée sous – jacente anime Millet, pensée toute de religiosité et qui voudrait, en la dissimulant in extremis, retrouver parmi les moissonneurs de Normandie, les Booz et Ruth bibliques. Sainte simplicité qui se retrouve dans Les paysans rapportant un veau à la ferme, peinture relevant de l’imagerie (quoique fort admirée par van Gogh), ou, a fortiori, ce Paysan greffant un arbre, dont la présence, comme apposée au réel, avec femme et enfant, en fait une silhouette théâtralisée, et nullement une restitution allégorisée du réel, qui est, à l’époque, la marque et la grandeur de Courbet. L’équivoque est à son comble avec l’Angélus, qui semble confiner Millet à cette religiosité avec ces deux silhouettes rigides et comme statufiées dans la soumission de leur geste. Ces personnages semblent à la pose pour représenter comme en un a priori constant, réduisant le geste pictural, l’artifice d’ rusticité sacrée. Toutefois, une œuvre comme l’Homme à la houe, parce qu’elle représente la dynamique harassante de l’effort et le lien du travailleur à la terre, indique qu’il existe un Millet délesté de la « prétention » que ressentait Delacroix. Tel est l’intérêt de cette exposition de Lille. La Fileuse, chevrière auvergnate, gagnée par sa marche dynamique et une mise en images déconcentrée de son troupeau, manifeste que, durant les années 1860, Millet rend justice à un ordre de symbiose active entre les mondes humain, animal et terrestre. Il en est ainsi, également, avec ses Fagoteuses Il peut donc atteindre, avec d’autres moyens et une autre assise, à «l’allégorie du réel» chère à Courbet. Telle est la magnificence révélée du Printemps et de ces deux œuvres majeures (au Metropolitan Museum of Art de New York), que sont Les meules d’automne et la Gardeuse de dindons. Mais, contrairement à Courbet, dont il n’atteint peut-être pas la grandeur, Millet transfigure le réel, sauvegardant sa vision. Ce qu’il restitue remarquablement avec sa Nuit étoilée et les Dénicheurs de nid. Aussi, lorsque la grille de lecture, faisant de l’impressionnisme le passage obligé faute d’être disqualifié (et Millet n’est pas «préimpressionniste»), aura cessé de fonctionner dans le système marchand de l’art (au risque de minorer certaines gloires et d’en magnifier d’autres plus encore, tel Cézanne), il conviendra de redonner à Millet une place, non loin de Courbet. Ayant progressivement cessé de vouloir sacraliser le réel, il aura su restituer, dynamiquement, une allégorie seconde, celle de la mémoire du réel.

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